Capitaine abandonné...
- Niels Brouzes
- 24 août 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 sept. 2024

Les oreillettes ont modifié le cyclisme professionnel, en transformant la façon dont les courses sont gérées, aussi bien par les coureurs que par les équipes. Introduites initialement pour améliorer la sécurité et la communication, elles sont aujourd’hui un outil stratégique incontournable, mais leur présence suscite toujours un débat intense. En explorant leur influence, il apparaît que les oreillettes ont à la fois transformé le rôle des coureurs, accentué les inégalités entre les équipes et altéré la dimension humaine de ce sport.
La fin du capitaine de route
Traditionnellement, le capitaine de route jouait un rôle central dans la stratégie d'une équipe cycliste. C’était à lui de lire la course, d’organiser ses coéquipiers et de prendre des décisions en temps réel. Avec l’arrivée des oreillettes, ce rôle a été en grande partie transféré aux directeurs sportifs, désormais en contrôle depuis leur voiture. Grâce aux informations en direct et aux multiples écrans, ces derniers orchestrent la course à distance, prenant des décisions basées sur des données visuelles, mais en déconnectant les coureurs de l'essence même de la course.
Cette évolution est souvent perçue comme un appauvrissement de l'intelligence de course des coureurs. Au lieu de faire appel à leur instinct et à leur expérience, ils obéissent à des instructions mécaniques, ce qui favorise un style de course rigide, souvent qualifié de « robotique ». Les décisions individuelles, autrefois importantes pour déjouer les stratégies adverses, laissent place à une forme de «jeu vidéo», où la stratégie se décide depuis la manette. Ce phénomène contribue à l’émergence de ce que certains qualifient de « bourrins », des coureurs dotés d’une force brute, mais dépourvus de la finesse tactique autrefois nécessaire pour briller.
Un outil au service des investisseurs et des grandes équipes
L’un des arguments majeurs en faveur des oreillettes est leur capacité à sécuriser les investissements massifs des sponsors et des investisseurs. Avec des budgets de plusieurs millions, les équipes ont besoin de maximiser leurs chances de succès. Les oreillettes permettent aux directeurs sportifs de réagir instantanément à des situations de course imprévues, rétablissant rapidement l’ordre lorsque des échappées menacent ou que des rivaux se montrent agressifs.
Cependant, cette maîtrise favorise principalement les grandes équipes, qui disposent déjà des meilleurs coureurs et des ressources pour analyser en temps réel la course. Ce sont elles qui tirent le plus grand profit de cet outil, renforçant encore plus leur domination. Les petites équipes, avec des budgets plus modestes, sont désavantagées : elles ne peuvent pas rivaliser avec cette gestion millimétrée et peinent à imposer des stratégies surprises.
Une arme que les petites équipes devraient contester
Dans ce contexte, il serait logique que les petites équipes militent contre l'utilisation des oreillettes. En les interdisant, cela rétablirait un équilibre plus favorable, où la ruse, l'audace et l'instinct pourraient reprendre le dessus sur les calculs froids. En l’absence d’instructions continues, les courses deviendraient plus imprévisibles, offrant davantage d’opportunités pour des équipes outsiders de décrocher des victoires prestigieuses.
Aujourd’hui, l’aspect humain du cyclisme est souvent sacrifié au profit d’intérêts économiques. La dynamique collective, les alliances improvisées et les paris tactiques qui faisaient le charme de ce sport s’étiolent au profit d’un cyclisme aseptisé, où la technologie dicte l’issue des courses.
Le seul bénéfice indiscutable : la sécurité des coureurs
Malgré ces critiques, il est indéniable que les oreillettes apportent un bénéfice majeur en termes de sécurité. En permettant de prévenir les coureurs en temps réel des dangers sur la route (chutes, obstacles, changements soudains de conditions météorologiques), elles contribuent à réduire les risques d’accidents graves. Dans un sport où la vitesse et le danger sont omniprésents, cette fonction préventive justifie à elle seule l’existence des oreillettes.
Inutile de dire que, pour moi, les oreillettes ont été un vrai calvaire durant ma carrière. Quand tu apprécies les stratégies et le jeu d'interaction avec les autres coureurs, l’intervention extérieure devient vite agaçante et génère des tensions.
Je me souviens particulièrement d’un épisode au Tour du Limousin en 2007. Sans citer de noms, l'incompréhension absurde d'un directeur sportifs envers son équipe vu de sa voiture, euh PlayStation donnant des directives. J’étais dans la roue d’un sacré costaud, ça roulait à bloc. Et là, j’entends ce coureur répondre à son directeur sportif qui demandait de lancer une bordure : "Hé mec, t’as regardé le compteur de ta voiture ? On est à 60 km/h, tu ferais mieux de revenir dans le peloton !" C'était assez marrant... Bref, tout ça pour dire que parfois ça manque aussi de sens ces oreillettes.
Les oreillettes, en centralisant le pouvoir décisionnel entre les mains des directeurs sportifs, ont radicalement changé le visage du cyclisme professionnel. Si elles offrent une sécurité accrue et rassurent les investisseurs, elles privent aussi les coureurs de l’essence même de leur métier : lire la course, prendre des risques calculés et faire preuve d’ingéniosité. La domination des grandes équipes est renforcée, tandis que les petites équipes voient leurs chances d’exploits réduites. Le débat reste ouvert, mais une chose est sûre : les oreillettes ont transformé le cyclisme, pour le meilleur et pour le pire.
Niels
Fondateur de l'application d'entraînement Sorius
Disponible sur App Store et Google Play
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